Il y a quelques années, je travaillais dans un grand groupe. Ma fille, alors âgée de sept ans me demande :
- « Dis Papa, c’est quoi ton métier ? »
Les questions des enfants sont toujours désopilantes, mais tellement pleines de bon sens qu’il est difficile de passer à côté et d’y répondre sans être concret. J’étais alors Manager dans une société de conseil en finance. Autant dire que pour une petite fille de sept ans, c’était bien abstrait. Après quelques instants d’hésitations, je lui réponds :
- » Je suis… réunionneur.
- Réunionneur ? mais c’est pas un métier ça ! «
Réunionneur, c’est mon métier
Elle avait raison, ça n’était pas un métier… mais finalement c’était bien ce que je faisais au quotidien. Comment lui expliquer en mot simple que je passais mes journées en réunion à animer des Comités de direction, des réunions de pilotage, des réunions Qualité, des réunions de « brainstorm », ou encore des points individuels ou des entretiens de recrutement… Finalement je lui réponds :
- » Je suis un peu comme un animateur !
- Ah ? comme à la télé alors ?… Trop cooooool ! «
Mon métier était trop cool ?! Je n’avais jamais vu ça comme ça, parce qu’en réalité je ne trouvais pas ça si cool que ça de passer 10h par jour en réunion et 5 jours par semaine ! En plus, il faut dire que je ne l’avais pas vraiment choisi. Ça s’était fait comme ça, progressivement. Je ne savais pas qu’en devenant manager, j’allais hériter aussi et surtout de ce rôle-là… animer et participer à des réunions toute la journée.
Cette remarque de ma fille m’avait interpellé. Je m’étais alors demandé comment les raccourcir, rendre ces réunions plus efficaces. Car il faut avouer que pour beaucoup d’entre elles, on s’y ennuie ! D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder les participants : regard dans le vide, téléphone discrètement dans la main, un semblant de prise de note sur l’ordinateur portable avec quelques fenêtres ouvertes en arrière-plan. On s’y ennuie si souvent !
« Au fait, pourquoi je suis là ? »
Parfois même, je me souviens, je me retrouvais dans des réunions où je ne savais même plus pourquoi j’étais là. J’avais été invité, alors je venais… sans même me poser la question du rôle que je devais y jouer.
Et puis avec l’internationalisation de mon activité, le télétravail et l’éclatement des équipes, sont arrivées les « web conf » et les « conf call » (réunion à distance par internet ou par téléphone). On y faisait la même chose qu’en réunion physique, mais c’était encore plus difficile de se concentrer quand on est seul ! Mais on y assistait quand même, il valait mieux être présent car on ne sait jamais… il ne faudrait pas louper la news du jour… Et puis ne pas accepter l’invitation était très mal vu.
Il faut dire en revanche, que la vidéo conférence a un avantage certain, on peut se cacher un peu plus. Personne ne voit votre écran. Pour peu que vous coupiez bien le son, vous pouvez répondre à vos emails, lire votre blog préféré voire même écouter le dernier podcast…
Web Réunions : changez vos habitudes !
Au départ, nous organisions donc les réunions à distance de la même manière qu’en présentiel. Un animateur (en général le manager) qui dirige la réunion, quelques interventions interminables des plus bavards, quelques boutades à mi-mots et puis un compte rendu qu’on rédige à la hâte deux semaines après.
La réalité est qu’on applique trop souvent les mêmes recettes aux web conf qu’aux réunions physiques. Or la relation à distance ne peut pas être menée de la même manière. Les situations sont même en général exacerbées. Les taiseux se taisent encore plus, et les bavards et joyeux lurons en rajoutent toujours plus… mais peu de personnes y trouvent leur compte et les réunions sont majoritairement peu performantes.
J’ai donc essayé, avec mes équipes, différentes méthodes pour rendre ces instants plus efficaces. J’ai également décidé de n’aller qu’aux réunions où j’avais une place claire.
Après de l’entrainement et quelques essais infructueux, nous avons fini dans nos réunions à trouver un équilibre et surtout de l’efficacité. Mais le constat est que cela reste fragile. Il faut y mettre une certaine rigueur et discipline, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Les tentatives de revenir à la version « foire d’empoignes » ou au contraire à la version « info descendante » sont légions.
Il faut en permanence essayer de maintenir un juste équilibre entre durée, temps de parole de chacun, rôles et objectifs clairs, mais aussi socialisation. Car avec le développement du télétravail et plus encore avec la situation exceptionnelle de confinement que nous vivons, la nécessité de maintenir la relation est primordiale. Il faut donc y inclure cette nécessité de garder le lien social dans l’équation.
Quelques ingrédients et une attention particulière à l’autre…
Voici donc en quelques lignes, les règles qui ont pu fonctionner pour nous. A vous de les adapter. Garder « bon sens » et « attention à l’autre » reste le maître-mot.
Au final, les réunions, et en particulier celles à distance, doivent :
- Avoir un objectif clairement défini (réunion d’alignement, réunion d’information, réunion de réflexion ou encore réunion de partage…). Qu’est-ce qu’on attend de cette réunion ? Pourquoi ? ou Pour quoi y faire ? Eviter les réunions fourre-tout avec trop d’objectifs.
- Avoir un temps fixé à l’avance et s’y tenir. Les réunions web ou téléphoniques doivent être globalement de 50% inférieures au temps physique. Au-delà de 30mn pour une réunion d’information ou de pilotage, les participants commencent à décrocher. Une réunion de partage, bien menée, ne devra pas dépasser une heure. Il vaut mieux fixer deux réunions par semaine, voire une réunion quotidienne de 15mn pour aligner tout le monde qu’une longue réunion hebdo de 1h30 ou 2h.
On peut aussi alterner les thèmes : une réunion de suivi, et une autre réunion de partage. Avec chacune un objectif différent.
- Être animées par un facilitateur dont le rôle est d’assurer un temps de parole pour tous. Il ne s’agit pas d’avoir un temps égal pour tous, mais de s’assurer que chacun pourra s’exprimer. Ainsi, il faudra réfréner le boute-en-train et inviter le taiseux à prendre la parole. Ce facilitateur n’est pas nécessairement le manager, c’est celui le plus apte à pouvoir distribuer ce temps de parole. Il aura un profil d’écoute et saura intervenir avec douceur mais fermeté pour permettre à tous de parler, dans le respect des autres.
- Avoir des règles de fonctionnement claires : couper son micro pour éviter les bruits parasites, ne pas intervenir de manière intempestive, utiliser les chats ou le bouton « lever la main »…
- Se faire essentiellement en vocal. La vidéo est particulièrement intéressante en partage d’écran, mais regarder les autres pendant 1h présente peu d’intérêt, si ce n’est de vous distraire. Certains auront besoin néanmoins de se voir, d’autres seront mal à l’aise face caméra. N’imposez pas à tous d’avoir la webcam allumée. Par ailleurs, la vidéo prend beaucoup de débit, elle peut donc rendre la réunion désagréable par des coupures intempestives ou une image pixelisée, voire figée.
Laissez donc libre l’utilisation de la vidéo ou de la voix seule. Celui qui n’allume pas sa webcam n’est pas forcément celui qui fait autre chose. Il n’est peut-être simplement pas à l’aise. Il peut se sentir agressé dans son intimité (surtout lorsqu’on est chez soi comme dans cette période de confinement que nous vivons).
- Un compte rendu est rédigé par un « secrétaire » de séance. Il est envoyé à la fin de la réunion. Il ne contient que les actions décidées et validées en séance. On peut y ajouter les éléments essentiels à retenir. Mais quoiqu’il en soit il ne s’agit pas des minutes, mais d’un plan d’action pour en permettre le suivi aux réunions suivantes.
En clarifiant ainsi : les rôles, l’objectif de la réunion, en étant attentif à chacun, les réunions deviennent progressivement plus courtes, agréables et efficaces.
Facilitateur ? Manager : passez la main !
Il y a quelques années, j’étais donc Réunionneur. C’est moi qui généralement animait les réunions en tant que manager. C’était mon rôle. Mais après avoir testé ce nouveau mode d’animation de réunions, je me suis aperçu que je n’étais pas nécessairement le meilleur facilitateur. J’ai donc proposé à mes collaborateurs qui me semblaient à l’aise dans ce rôle de devenir facilitateur. On a même fini par élire celui semblait le plus à même de mener ces échanges efficacement.
De 10h des réunions par jour, je suis passé à 10h par semaine. Les réunions pouvaient commencer sans moi. Les comptes rendus des actions étaient envoyés immédiatement. Quel soulagement ! J’avais enfin un vrai intérêt pour ces réunions.
Aujourd’hui je ne suis plus Réunionneur, et très heureux ! Mais j’ai parfois encore du mal à trouver ma place dans certaines réunions, car après avoir pratiqué et assisté à des réunions efficaces, il est difficile de revenir en arrière. Et pourtant, opérer ce changement n’est pas évident. J’y parvenais mieux en tant que manager qu’en tant que participant lambda… je suis convaincu de l’efficacité d’un processus plus cadré, mais cela demande de la rigueur, et une prise de conscience de la nécessité de changer. J’ai bien du mal à faire passer cela.
Et pourtant en ces temps exceptionnels de confinement, il est peut-être urgent de repenser nos réunions pour pouvoir non seulement poursuivre nos activités à distance, et mais aussi se concentrer pour les rendre efficaces… C’est souvent dans les moments de crise que l’on est les plus créatifs. Alors au travail, c’est le moment de se réinventer !