Partage des bénéfices et entreprise libérée : évidence ou tabou ?
Partage des bénéfices et entreprise libérée : évidence ou tabou ?
Peut-on réellement vouloir libérer une organisation sans envisager d’en partager les bénéfices ?
J’étais récemment au salon des entrepreneurs, l’occasion de faire le plein d’énergie et d’écouter des projets revitalisants. Parmi les conférences auxquelles j’ai assistées, l’une a retenu mon attention sur les Entreprises Sociales et Solidaires (ESS). Outre l’émotion ou l’admiration que suscitent souvent les témoignages de ces entrepreneurs sociaux, les similitudes avec la démarche de libération de l’entreprise m’ont intrigué. L’Avise, agence gouvernementale en charge des ESS qui organisait cette conférence, nous en rappelait les fondamentaux. Une entreprise sociale et solidaire est une structure – association, coopérative ou même entreprise à statut commercial – qui cherche à concilier utilité sociale, solidarité, viabilité économique et gouvernance démocratique.
A part l’objet spécifiquement social et solidaire, qui distingue l’ESS de toute autre entreprise libérée, les deux autres critères me semblent similaires. Il y a bien entendu la recherche d’une viabilité économique qui est rappelée quelque soit l’objet et la forme juridique choisie. Il y a également le critère de gouvernance démocratique.
Qu’est-ce que la gouvernance démocratique ?
La définition n’est pas unique, c’est un mot très largement utilisé depuis deux décennies, voire parfois galvaudé. Ce terme recouvre aujourd’hui plusieurs définitions. L’Avise dans sa documentation en donne une intéressante. La structure doit placer le collectif au coeur de son organisation et de ses actions. Elle fonde son processus de décision sur une gouvernance participative, en incluant notamment l’ensemble des parties prenantes (salariés, clients, fournisseurs, investisseurs, collectivités…).
Par ailleurs, l’Avise précise que le processus de décision ne peut être calé sur le capital. Il doit laisser une place importante au collectif.
Enfin, les bénéfices doivent être réinjectés ou distribués selon des modalités définies en amont de manière claire et transparente.
Cette caractéristique ne serait-elle pas intimement liée à la libération d’entreprise ? On constate dans l’histoire récente de ces entreprises, que beaucoup d’entre elles se sont interrogées sur ce point. Les plus grandes réussites, qui ont su se pérenniser, ont inclus dans leur démarche la distribution des bénéfices.
Peut-on vouloir libérer son entreprise ou adopter l’Holacracy en écartant un tel objectif ? Fondamentalement, je ne le crois pas. Il me semble que démocratie en entreprise et partage des bénéfices doivent aller de pair.
Quand inclure cette réflexion dans son projet de libération ?
Par conséquent, ne faut-il pas se poser la questions dès le départ ? En tant que « Leader libérateur », ou dirigeant « abdiquant » son autorité au processus holacratique, suis-je prêt (avec mes actionnaires bien sûr) à distribuer une partie de mes bénéfices ?
Personnellement je suis convaincu que la performance de l’entreprise libérée est à ce prix, et qu’in fine celui qui osera y gagnera. Car les résultats de son entreprise seront finalement bien supérieurs à ceux qu’il aurait eu sans cet acte courageux… Mais parmi ceux qui sont passés en Holacracy, combien ont pu aller jusque là ? Malheureusement, peu me semble-t-il.
J’ai pu constater auprès des entrepreneurs « libérateurs » que j’ai rencontrés, que si cette question n’est pas posée dès l’origine, alors il est difficile d’y revenir après. Or c’est souvent la première question que soulèvent les équipes. Qu’est-ce que cela change pour nous ?
Mon propos n’est pas de réduire la motivation des salariés à la seule rémunération. Loin de là, car je ne crois pas du tout, comme beaucoup d’études le montrent, que la rémunération soit le facteur numéro un de motivation. Néanmoins, en Holacracy, on met en avant clarté et transparence. Les règles de rémunération et de bénéfices doivent donc être évoquées rapidement.
Je ne dis pas qu’elles seront traitées rapidement, car comme pour le reste, il faut que les conditions le permettent. Un changement trop rapide induirait des comportements néfastes. Mais il faut mettre des indicateurs de maturité qui permettraient de dire quand l’organisation est prête à franchir ce cap important.
Jusqu’où doit aller cette réflexion ?
Si on pousse le bouchon jusqu’au bout, parmi les questions à se poser avant de libérer son entreprise, il faut s’interroger sur tous les aspects financiers. Sommes-nous prêts à soulever non seulement cette question de redistribution d’une partie des bénéfices, mais également sommes-nous prêts à nous interroger sur la transparence des salaires, voire celle d’un plafonnement de l’écart des salaires, à l’instar de ce que proposent la majorité des ESS.
On pourrait argumenter que cette volonté de transparence et de partage peuvent paraître idéaliste, voire basée sur des fondements marxistes. En réalité on retrouve cette pratique dans les coopératives, comme le proposait déjà il y a 30 ans Edouard Leclerc. 1/4 ou 1/3 est distribué aux salariés. Une part est réinvestie dans l’entreprise et bien entendu le reste aux actionnaires. Cette même proposition, sous forme d’une règle des trois tiers, figurait dans les propositions d’un candidat républicain en 2009, réputé être pourtant libéral !
La question du libéralisme ou du caractère social n’est donc pas dans la règle de partage des bénéfices elle-même. Elle réside dans les règles de répartition de ces bénéfices entre les salariés de l’entreprise.
J’ai personnellement connu trois régimes. Répartition purement égalitaire, la standardiste ou l’assistante touche le même montant que les directeurs. Répartition proportionnelle aux salaires, chacun gagne un pourcentage identique de son salaire (par exemple : 20% du fixe ou du variable). Et enfin répartition mixte, par exemple, moitié égalitaire, moitié proportionnelle.
Les trois règles ont de bonnes et de mauvaises raisons, avec des effets très variés. Je trouvais personnellement la règle mixte probablement plus juste, mais c’est très personnel. Quoiqu’il en soit, cette réflexion doit nécessairement être menée selon le processus de décision interne. Mais quand on en est à ce stade de discussion, c’est que déjà les principes ont été bien posés !
Un nouveau point dans ma check-list…
C’est donc la question de répartition qui est plus délicate et qui dépendra profondément de la culture de l’entreprise et de son dirigeant. En revanche, si on revient à la question du départ, le partage des bénéfices et la libération d’entreprise devraient être – à mon sens – une évidence, pas un tabou.
Je pense donc que j’ajouterai ce point à ma check-list de l’entreprise libérée : « Etes-vous prêt à envisager un système de partage des bénéfices » ? Tout dirigeant pourra choisir d’y répondre par la négative. Mais il devra pouvoir en exprimer les raisons de manière transparente et claire à ses équipes afin de ne pas donner de fausses illusions.
il est intéressant de noter que j’ai publié sous linkedin dans le groupe holacratie un post très proche : Holacratie et répartition de la valeur générée par l’entreprise (https://www.linkedin.com/groups/4971103/4971103-6243398643542421504)
car pour moi, il est diffcille aussi de se lancer dans cette aventure sans aborder clairement cette question. et comme indiquait JF Zobrist « le but de son entreprise n’est pas le profit mais de durer . Hors pour durer , il faut pouvoir faire du profit. »
Tu pourras aussi voir les réponses apporter que je résume de la manière suivante. L’holacratie par définition ne traite pas directement le sujet, ce sont des techniques de travail d’une organisation.
Ensuite, c’est plus le contexte de l’entreprise qui précise le cadre de la réalisation du passage en holacratie qui peuvent rendre plus ou moins nécessaire cette clarification (ce que je crois comprendre aussi dans ton article)
Bien à toi