L’Holacratie, c’est comme un meuble Ikea…
L’Holacratie, c’est comme un meuble Ikea. C’est un concept au service du mieux vivre, une technique toute prête pour ceux qui n’ont ni le temps, ni les moyens de créer leur espace. Est-ce la panacée ? Est-ce un but en soi ? Certainement pas ! Mais c’est probablement aujourd’hui la technique « sur-étagère » la plus aboutie.
Un article récent se félicitait du crash de l’Holacracy chez certains acteurs, dont Zappos. Faut-il s’en réjouir comme pourrait le suggérer le titre ? Que faut-il en penser ?
Au-delà de la nuance à apporter aux propos rapportés, il faut aller un peu plus loin et revenir à ce qui a motivé la volonté de changements dans ces entreprises comme Zappos. Parmi les motivations importantes d’une telle révolution : la recherche du mieux être, l’efficience ou encore la quête de sens sont les plus citées. Mais il y en a une qui, pour moi, transcende toutes les autres : celle d’une recherche profonde de liberté. Liberté de l’individu dans son travail, dans son évolution, dans son épanouissement… une liberté au service du mieux être. Zappos n’a pas décidé d’abandonner sa quête, ni revenir à un management traditionnel, son dirigeant a choisi d’aller plus loin dans sa quête humaniste. Ce n’est donc pas du crash de l’Holacracy dont on parle, mais d’une nouvelle étape dans cette quête du mieux être.
Le Concept Ikea : « aider davantage de personnes à mieux vivre »
Dans mes premières années d’études, mon premier rêve de liberté s’est concrétisé le jour où je me suis installé en coloc dans un nouvel appart. Quel sentiment grisant ! Cette quête de liberté s’est traduite par des petits actes aujourd’hui anodins mais ô combien importants hier. Le premier d’entre eux fût celui de meubler librement mon nouvel appartement d’étudiant. Quelle excitation de pouvoir organiser mon espace à ma guise !
J’avais alors plusieurs choix : acheter des meubles tout fait, mais c’était bien au dessus de mon budget ; les faire moi même, mais c’était long et demandait de l’expérience ; ou encore acheter des meubles en kit, type Ikea, à prix abordables, à monter soi-même. J’ai choisi cette troisième option, idéal pour le fauché pressé que j’étais. Je montais donc mes premiers meubles, à l’aide de la fameuse notice. Etait-ce parfait ? Non… mais quelle satisfaction, c’était mon premier meuble !
L’Holacratie, c’est un peu comme un meuble Ikea. C’est un moyen, pas une fin. C’est un outil au service du mieux être, une voie possible pour les « pressés ». Certes, les noms des objets et des procédures de montage semblent rébarbatifs, voire barbares, mais qui s’en préoccupent aujourd’hui ? Le concept de base d’Ikea, tel que décrit sur leur site internet, a pour ambition « d’être accessible au plus grand nombre » et d’être « durable ». Il a pour but « d’aider davantage de personnes à vivre mieux (…) ». En cela, c’est une réussite et il a aidé beaucoup d’étudiants, de familles à mieux vivre.
L’Holacractie a pour moi cette même ambition : être un modèle, une technique toute prête pour ceux qui n’ont ni le temps, ni les moyens de libérer seuls leur entreprise. C’est la vision que j’ai de l’Holacratie : un moyen pour nous aider à tendre vers la libération des organisations.
… tout en étant « accessible au plus grand nombre ».
Pourrions-nous nous réjouir d’un prétendu crash de l’Holacracy ? Je ne le pense pas, ce serait comme se réjouir de voir une démocratie naissante retomber en dictature ! Les règles démocratiques sont parfois absconses et rigides. Faut-il pour autant abandonner l’objectif ? Certainement pas ! Il faut travailler pour les adapter encore et encore, pour les rendre toujours plus humanistes et démocratiques. Mais certainement pas les abandonner.
L’Holacratie n’est pas une théorie, elle s’est construite à partir d’une expérimentation de libération d’entreprises. Toutes ces expériences ont été modélisées et re-testées. Leurs auteurs ont décidé de les rendre accessible à ceux qui le souhaitent. Holacracy propose donc de partager ce modèle pour faire gagner du temps à ceux qui n’en ont pas. Elle permet à ceux qui le désirent de se mettre en chemin. C’est une plafteforme de lancement pour un projet de libération profonde de l’entreprise. Réduire Holacracy à ses procédures et réunions, c’est comme réduire le concept Ikea à ses plans et ses noms bizarres ! Heureusement, ca va bien au-delà.
Holacracy, tout comme Ikea, se veut être au service du mieux vivre et accessible au plus grand nombre. Est-ce que ca peut convenir à tout le monde ? Il semble que non, tout comme Ikea. Faut-il pour autant décourager ceux qui veulent y aller ? Je ne le pense pas.
Toute révolution passe par trois phases…
C’est donc un appel à l’intelligence que je souhaiterai faire.
A ceux que je croise tous les jours qui se plaignent d’être étouffés par leur organisation, par les procédures ou par la « structure », n’ayez pas peur !
A ceux qui souffrent de ne pas pouvoir exprimer leurs talents et qui ne supportent plus qu’on leur dicte ce qui est bien pour eux, n’écoutez pas ceux qui « crient au loup » par peur du changement.
Essayez de nouvelles expériences, libérez-vous ! Et si en chemin, vous rencontrez des obstacles, des procédures tordues, demandez vous si c’est un problème. Revenez aux fondamentaux. Si ces difficultés servent l’objectif, persévérez ; si ça vous parait contraire, changez de route, essayez autre chose, adaptez vos pratiques, par petites touches.
Pour conclure, je citerai Idriss Aberkane, jeune docteur en neuroscience et géopolitique, pour qui « toute révolution, quelque soit son secteur, passe par trois phases successives : ridicule, dangereux, évident »(…). La libération des entreprises vit ses deux premières phases et est souvent accusée d’être ridicule ou dangereuse. Je ne crois pas qu’elle le soit. Je crois qu’il s’agit réellement d’une tendance plus que d’un effet de mode. Il ne faut donc pas se réjouir d’un prétendu crash de l’Holacracy, mais il faut croire qu’on vit là les prémices d’une r-évolution des organisations. Ridicule pour certains, dangereuse pour d’autres. Sera-t-elle durable ? A l’instar des démocraties, elle est fragile. A nous d’y veiller…
Excellent article, merci, je le partage. J’adore votre conclusion sur les 3 étapes de cette disruption : ridicule, dangereux, évident.
Merci de votre soutien, particulièrement de la part d’un expert !
Quel plaisir de lire un article non caricatural sur le sujet, c’est si rare. Quelle est le nom de votre entreprise qui fonctionne avec Holacracy ?
Merci pour cet article plein de bon sens et d’espoir
« C’est la vision que j’ai de l’Holacratie : un moyen pour nous aider à tendre vers la libération des organisations. »
Je partage totalement ce point de vue.
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Bonjour,
Je me permets de réagir, car je suis l’un des auteurs de l’article que vous citez en introduction sur le « crash de l’holacracy ». Je souhaiterais préciser quelques éléments, car dans le fond je suis d’accord avec votre article et je pense que vous avez fait une lecture un peu rapide de mes propos.
Tout d’abord quelques éléments de contexte.
L’article d’Atlantico est en fait une interview de 2 personnes réalisée par l’un de leurs journalistes. Il a été réalisé un peu rapidement à mon goût, l’interview (pour ma part) ayant été réalisé le vendredi pour une parution le lundi. C’est un peu de ma faute, mais j’estime qu’il n’a pas eu le temps nécessaire pour que j’y apporte la qualité de discussion et le soin que je consacre habituellement à mes publications (j’ai tout juste pu faire quelques corrections à des inexactitudes de retranscription de l’interview). Si cela en a entaché la compréhension, j’en fais mon mea culpa.
Par ailleurs, l’idée que Zappos a abandonné l’Holacracy, tout comme le titre de l’article viennent de la journaliste d’Atlantico. Personnellement, je n’avais d’une part pas d’information sur le sujet et d’autre part je ne cautionne pas le titre racoleur et condamnatoire.
Pour en revenir à votre article, je vous rejoins. Voici ce que je dis en quelques points. Vous le retrouverez dans mes propos au sein de l’article d’Atlantico si vous en faites une relecture attentive.
Le sujet des organisations plates (ou entreprises libérées) est complexe. L’idée séduit, mais il est normal de chercher un modèle à appliquer lorsqu’on veut se diriger vers ces modes de fonctionnement. Le modèle a en effet un côté rassurant.
Cependant par essence, une organisation ou chacun est libre d’entreprendre ce qu’il estime être juste pour l’entreprise est nécessairement unique. En cela, il ne peut pas y avoir de modèle qui puisse s’y adapter à 100%.
Par ailleurs lorsqu’on parle de donner l’autonomie aux gens, il y a un côté contradictoire à le faire en imposant un modèle qui vient dicter une unique façon de faire.
Une organisation qui supporte un fonctionnement d’entreprise libérée doit donc nécessairement tenir compte des particularismes de l’entreprise. Elle doit tenir compte de sa culture spécifique. Il y a forcément un côté d’expérimentation.
Pour autant l’Holacracy est un modèle utile, car c’est un raccourci pour entamer une démarche et cela peut aider à démocratiser des idées de management qui le méritent. Il faut juste garder en tête que ce n’est qu’un point de départ et qu’il devra être transcendé rapidement.
En fait de mon côté je n’y reproche qu’une chose. En codifiant les façons de réagir, il tente de faire abstraction des émotions humaines. Je pense que pour être durable une transformation doit être capable de les intégrer et que les nier trop longtemps, c’est prendre le risque de voir le système exploser.
Si l’on a conscience de ce risque, je pense qu’on peut s’essayer à l’Holacracy en toute confiance, même si de manière générale j’inciterais plutôt les gens à trouver leur propre chemin.
Vous pourrez d’ailleurs en connaître plus sur ma pensée à travers deux conférences filmées que j’ai effectué (« Scaling Culture » à la XebiCon 2015 sur youtube et « La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manager » à Lean Kanban France 2016 sur InfoQ). Je n’en poste pas les liens directement, car il ne s’agit pas de faire ma publicité, mais d’offrir un complément d’information. Si une personne est intéressée ou si vous souhaitez vous-même le faire, elles sont facilement trouvables.
Cordialement,
Nicolas Lochet
Bonjour, et merci beaucoup pour votre réponse très complète. Ma réaction initiale a en effet été dictée par l’impression générale et sur le titre (je vous cite) « racoleur et condamnatoire ». Votre article a circulé en interne parmi nos collègues avec des commentaires très « anti-holacracy » et a fragilisé une transformation encore naissante. C’est pourquoi je souhaitais réagir. Je conviens que j’aurais du nuancer mon introduction. Je vous remercie donc de votre réponse sincère et constructive et j’entends votre avis avec intérêt. J’irais d’ailleurs volontiers creuser en écoutant vos conférences. En vous remerciant pour cet échange.
Merci Nicolas pour votre éclairage. Les nuances que vous apportez sur votre intervention dans l’article Atlantico témoignent à mon avis d’une recherche sincère de ce qui est le plus pertinent pour chaque individu/organisation. D’ailleurs dans l’article en question, je ressentais déjà cette tonalité plus pondérée.
Bravo pour la cordialité (au sens étymologique) de vos échanges.
La meilleure façon de défendre Holacracy est de l’attaquer suis-je tenté d’ajouter (en paraphrasant Proust à l’endroit de la langue française).
Une manière d’abonder consiste à souligner la relative humilité des papas de l’Holacracy (une pratique visant à organiser le travail, pas les gens) ET à considérer la posture méta de l’organisation adoptée par l’un des ex associé de Brian Robertson, Tom Thomison, selon lequel il importe de dépasser (au sens hégelien, sans renoncer à) Holacracy en appréhendant 2 autres sphères dessinant toute organisation : légale d’une part (devenir « investor » au sens noble), tribale d’autre part (les relations humaines n’étant pas l’affaire première de Holacracy, focalisée sur les rôles).
CORDIALEMENT!
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